Le petit marin seul —1989


En résonance avec le travail de la sculpteure Louise Viger, Le petit marin seul décrit l'errance d'un jeune homme gonflé de désir.


PROJET SUIVANT

Extrait

Je voulais étreindre les montagnes, me marier avec un arbre, danser avec le héron. Je grimpais sur les rochers et me prenais pour un capitaine. Je me plaçais au coin des rues et faisais la circulation. J’offrais des roses à tous les beaux garçons. Mais j’avais la cheville cassée et je boitais. Le héron riait de moi. Les arbres bruissaient. J’ai vu apparaître un paquebot puis la brume est montée. Il cornait en solitaire au milieu du fleuve. Les beaux garçons donnaient les roses à leurs amies. J’éjaculais en silence sur les belles pelouses. Et dans mon cœur remontait sans cesse une chanson en arabe dont je ne connaissais les paroles qu’à l’oreille. Je ne savais pas qu’on y parlait d’un matelot qui a trop pris de soleil dans le désert et qui se cherche un lit pour la nuit. Je lançais des cennes noires dans le fleuve pour attirer les poissons. Entre mes jambes fleurissaient les iris. Je parlais aux grives en anglais. Je me frottais aux épinettes. J’avais tellement besoin d’amour, à cheval sur les rochers! J’avais tellement de temps à perdre. Je fixais les îles pour repérer des naufragés. Les bateaux ne coulent plus, me disait-on. Moi, je voulais couler entre des doigts brûlants. Je voulais couler de tout mon sang.


Photo : sculpture de Louise Viger, 1989
Crédit photo : Roberto Pellegrinuzzi