Vérité, authenticité, sincérité — 2003

En collaboration avec Serge Murphy

Ce texte de fiction et de réflexion à quatre mains traite de la parole comme ornementation. Il était la trame de fond d'une performance qui a eu lieu à l'Université Laval dans le cadre de la première Manifestation d'art internationale de Québec.

Publié dans le catalogue Manif d'art (première édition), Manifestation d'art internationale de Québec, p.20-26 (traduction p. 112-115)

PROJET SUIVANT

Extrait

- Qu'est-ce qui a une forme ovale, ou carré, ou irrégulière, qui est grave ou légère, ou entre les deux, qui peut ressembler à un grand arbre ou à une petite maison, à des pantalons repliés ou à une pierre dépolie, qui domine le paysage, avec son chapeau à larges bords, ou se soumet, une main sur son béret rouge trop petit.
- C'est la parole!
- Oui, c'est exactement ça : la parole.

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Parlons de la parole...

Je connais de gens qui font des cuirs à répétition

Cuir : faute de langage qui consiste à lier les mots de façon incorrecte.

Débordants d'enthousiasme, ils ajoutent des lettres là où il n'en faut pas.

Un ami, par exemple, annonce qu'il passera tout l'été sur la côterest (la côterest, la côterest...)

Un autre, à qui on demande si son fils veut du jus, répond : oui, il n'en veut. Il n'en veut un peu.

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Une lettre de trop, un mot de trop, et c'est tout votre destin qui peut changer.

Une amie passait tous les jours à la même heure devant une boutique d'orchidées et avait remarqué que le fleuriste lui faisait chaque fois un plus large sourire. Elle finit par entrer, et commence alors un flirt entre la marcheuse et le fleuriste. Chaque soir au téléphone elle me parle de son désir sans cesse grandissant, jusqu'à un certain jeudi. Ce jour-là, elle s'arrête à la boutique comme à l'habitude, renifle et admire les fleurs et, prise d'un élan, dit au beau fleuriste : «Demain je t'apporterai un magnifique poème de Max Jacob sur les orchidées». Et lui de répondre tout de
go : «Oui, j'apprécierais.» Elle sort, entend la clochette de la boutique sonner pour la dernière fois. Elle s'arrête chez moi, furieuse, résolue à ne plus jamais passer devant la boutique. Jamais elle ne pourrait accepter l'amour venant d'un homme qui répond à une offre par ces mots : «Oui, j'apprécierais.»

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Quand j'étais petit, j'épelais dans ma tête tous les mots de toutes les phrases, entendues ou lues, en associant les lettres deux par deux. Voici un exemple à partir d'une phrase de Maeterlinck : «Je ne veux pas orner la vérité.» Épellation : Je-ne-ve-ux-pa-so-rn-er-la-vé-ri-té. Ce type de phrase, par trop facile, me décevait. Je préférais de loin les phrases au nombre de lettres impair, comme celle-ci : «Ils veulent encore orner la vérité.» Épellation : Il-sv-eu-le-nt-en-co-re-or-ne-rl-av-ér-it-é. Reste donc le é. J'avais trouvé une solution pour empêcher la solitude de la lettre : recommencer l'épellation en commençant par la lettre seule, ici le é, pour faire, avec toutes les phrases, de belles boucles. Épellation : éi-ls, ve-ul-en-te-nc-or-eo-rn-er-la-vé-ri-té. Je passais ainsi des journées entières dans les lettres.